-écrit en 2016-

Il y a 5 ans et 361 jours

Cette sensation ne m’est pas familière. Je suis légère. Comme sur un nuage. Je me sens portée. Je reprends un instant mes esprits… Mes yeux se baladent à droite, puis à gauche. Je suis entouré d’herbe. Mince, j’y pense, qu’est-ce que je fais ici ?

Je ne sens plus le moindre centimètre de mon corps. Comme si mon cerveau s’était déconnecté de chaque membre de mon corps. J’essaie tant bien que mal de bouger mes doigts, ma main, mon bras, de faire un geste simple, mais je n’y parviens pas. Je veux juste me rassurer. J’y mets pourtant tout mon courage. Mais rien. Rien ne se passe.

J’étouffe. J’ai chaud. J’ai besoin d’air. Je ne parviens plus à voir clair. Comme si une barrière transparente m’empêchait de respirer. Je ne parviens pas à trouver la force de demander de l’aide et mon corps ne me répond plus. Le ciel devient de plus en plus clair, ma vue se brouille. Je ferme les yeux. Juste un instant. Seulement deux secondes.

Je prends une grande inspiration. L’air vient effleurer ma peau. J’inspire aussi fort que mon corps me le permet. Cette barrière transparente a disparu. Un petit soulagement. Mais très vite, un bruit résonne. Un hurlement. Un hurlement de douleur si intense qu’il me donne la nausée. J’essaie de comprendre ce qu’il se passe. J’ai l’impression que mon cerveau coupe les informations quelques instants. Il essaie certainement de tout remettre dans le bon ordre, de rédiger un rapport, de faire un bilan de la situation.

Que m’arrive-t-il ? Que se passe-t-il ? Sûrement un mauvais rêve ; je ne peux ni bouger, ni parler, comme paralysée. J’essaie à maintes reprises de me lever, mais rien n’y fait. Je commence à ressentir une forte douleur dans mon dos. Je ne contrôle plus rien. Tout va à la fois si vite et si lentement. 

– Ne bouge surtout pas, me dit un homme en se penchant au-dessus de moi

– Les secours arrivent, ne t’en fais pas ! Me dit le suivant

Ces phrases, pourtant si simple d’apparence, me sont incompréhensibles. J’aurais bien voulu me pincer, mais encore faudrait-il que je puisse remuer ne serait-ce que mon petit doigt. J’entends de moins en moins les bavardages et affolements qui se trouvent autour de moi.

Petit à petit, toutes les informations prennent place.

Lorsque je reprends mes esprits, l’ambiance n’est plus vraiment la même et il y a beaucoup plus de bruit. J’ai envie de crier ; STOP ! Mais encore une fois, mon corps a décidé de se révolter contre moi-même. Je me fais violence. Mais le plus drôle, c’est que le calme plane dans mon esprit et la colère n’est pas au rendez-vous. Comment j’arrive à être à la fois si calme et si apeurée ? J’ai l’impression d’avoir deux personnes en moi. La première ; calme, légère, tranquille. La deuxième, bloqué dans une boîte qui prend feu.

Une voix masculine me fait sortir de mes pensées :

– Comment tu te sens, Maëlys ?

Je ne peux plus bouger. Je me sens paralysée. J’ai l’impression de me diviser en deux. Une partie va bien, l’autre très mal. Je ne me sens pas capable de raconter une blague, ni même de réaliser le grand écart. Mon cerveau ne veut pas coopérer avec moi. J’ai peur. Je suis angoissée. J’ai chaud. Mais j’ai aussi froid. Je ne me sens pas vraiment vivante, ni même morte. Je suis perdue et on me demande comment je me sens ?

– N’aie pas peur de me dire la vérité, reprend-il

Comment lui dire que ce n’est pas de ma vérité que j’ai peur, mais bien de la sienne !

Un mot finit par sortir de ma bouche, un seul, le seul qui ne correspond pas du tout à mon état actuel.

– Bien.

Ouah ! Je viens de répondre que je vais bien alors que dans l’évidence, rien ne va !

– Est-ce-que tu pourrais me donner le numéro de téléphone de ta maman ?

J’arrive à lui donner sans hésitation et sans faute son numéro de téléphone. Rappelons quand même que je ne sais pas qui est cette personne, ce qu’elle me veut et ce qu’elle fait ici. Pourtant, ma confiance pour lui est indéniable.
« Maëlys, on ne t’a jamais dit de ne pas parler aux inconnus ? »

– Tu as de la chance, c’est un beau garçon qui te tient la main, dit une autre voix masculine

Je lui réponds d’un sourire. Mon cerveau s’est encore arrêté, juste un instant. Un autre rapport ?

Qui me tient la main ? Qui êtes-vous ? Pourquoi vous êtes là ? Toutes ces questions se bousculent à une vitesse folle dans ma tête.

Ding ! Rapport mis à jour !

Oh… J’ai certainement dû mal comprendre. J’espère avoir mal compris. Mon dieu, j’ai très bien compris !

Flash-back

Je regarde à gauche, puis à droite. Je m’accroche pour ne pas tomber. Je le serre contre moi. Je ne pense plus à rien, mon esprit se repose. Je me sens libre. J’admire les paysages autour de moi. Tout est beau, à ce moment-là, tout prend un sens dans ma tête. Je suis heureuse, tellement heureuse d’être avec lui.

Mon corps se crispe. La moto ralentit brutalement. Si brutalement que ma tête heurte l’épaule de mon père. « Crac ». Ce bruit me coupe la respiration. J’essaie tant bien que mal de mettre mon corps en arrière, pour ne plus exercer cette pression contre lui. Un bruit m‘interpelle. Un bruit qui ne présage rien de bon. Un bruit qui me glace le sang. Le bruit d’une voiture qui rencontre une autre voiture. Non ! Le bruit d’une voiture qui rencontre une moto. Pire encore, le bruit d’une voiture qui rencontre notre moto, où nous nous trouvons, lui et moi.

Mon visage perd son sourire, mes mains perdent mon père et le paysage perd sa couleur.

Fin du flash-back

Ce n’est pas possible, je ne peux pas y croire. Ou plutôt, je ne veux pas y croire.

Pour reprendre depuis le début, nous venons d’avoir un accident. Mes membres ne bougent plus. Le seul mot que j’ai su prononcer est « Bien ». Les personnes autour de moi sont certainement les secours. Et pour finir, les hurlements intenses devaient certainement… Papa !

– Où est mon père ?

– Il est juste à côté, ne t’en fais pas. Les secours s’occupent de lui, mais pour le moment, on se concentre sur toi d’accord ? me répond la même voix que tout à l’heure

Non, je ne suis pas d’accord. On ne se concentre pas sur moi ! Parlez-moi de lui, est ce qu’il est vivant ? Comment va-t-il ? Je peux le voir ? L’angoisse et la peur animent un peu plus mon corps.

– Tu fais du sport, Maëlys ? me dit-il

Je n’en reviens pas. Des dizaines, des centaines, des milliers de mots sortent de ma bouche sans que je puisse en arrêter un. Il y a seulement deux minutes, je ne savais même plus quoi répondre quand on me demandait comment j’allais et maintenant, je suis capable d’aligner des phrases sans même me contrôler. Je parle, encore et encore. Je ne m’arrête plus. Je ne m’écoute même pas parler, j’écoute les gens autour de moi.

J’entends toujours des hurlements. Je sais que c’est mon père. Je sais qu’il va mal. Le bruit devient de plus en plus atroce et insupportable. Je sens l’agitation autour de moi.

– Vidéo réalisée à partir de photo –